Donneurs d’ordre : pourquoi et comment joindre une matrice d'exigences à votre cahier des charges ?

Date

Novembre, 2025

Temps de lecture

9 minutes

Catégorie

Bonne pratique

Peggy Herman

co-fondatrice et dirigeante de Bee4win, où elle supervise les activités de conseil et de services en avant-vente. Depuis 2002, elle a piloté de nombreuses réponses à appels d’offres – publics et privés – allant de quelques dizaines de milliers à plusieurs centaines de millions d’euros, dans des secteurs variés tels que l’IT, l’énergie, l’industrie et l’événementiel.

Experte en avant-vente, Peggy réalise encore aujourd’hui des prestations en bid management, bid writing, coaching et formation, et mène depuis 10 ans des travaux d’étude sur les meilleures pratiques du domaine. Engagée dans la promotion de l’avant-vente, elle préside le chapter Francophonie de l’APMP et intervient régulièrement en tant que conférencière, notamment lors de la Bid and Proposal Conference Europe et auprès des clients de Bee4win.

Mots clés

#Matrice d’exigences
#Cahier des charges
#Appel d’offres
#Donneur d’ordre

Trop souvent, les cahiers des charges sont rédigés sans qu’une vue d’ensemble claire des exigences ne soit réellement formalisée. Résultat : des ambiguïtés, des oublis, voire des contradictions qui compliquent à la fois la phase d’appel d’offres et l’exécution du contrat.

La matrice d’exigences est un outil simple, structurant et extrêmement puissant pour éviter ces écueils. Bien conçue, elle apporte clarté, traçabilité et efficacité à chaque étape du cycle de vie d’un marché public ou privé.

1. Qu’est-ce qu’une matrice d’exigences ?

L’exigence, brique de base du cahier des charges

Dans un cahier des charges ou un appel d’offres, une exigence définit ce que devra faire — ou respecter — l’entreprise retenue. Elle formalise un besoin ou une contrainte que le titulaire devra satisfaire pour être conforme au contrat.

Ces exigences peuvent être explicites (formulées clairement dans le texte) ou implicites (découlant du contexte, de la réglementation, ou d’autres documents contractuels).

Différents types d’exigences

On peut distinguer plusieurs catégories d’exigences, par exemple :

Les exigences de réponse : elles concernent la phase d’appel d’offres.
Exemple : « La réponse devra être transmise avant le 30 juin à 12h00 », ou « Le mémoire technique ne devra pas dépasser 30 pages ».
Ces exigences guident les soumissionnaires dans la préparation de leur offre.

Les exigences solution : elles précisent le service, la prestation ou la solution à fournir.
Exemple : « Le logiciel devra permettre la gestion multi-sites des utilisateurs », ou « Le prestataire devra livrer les équipements listés en annexe 3 ».
Elles traduisent les besoins opérationnels du donneur d’ordre.

Les exigences projet : elles portent sur l’organisation et les moyens mis en œuvre.
Exemple : « Le prestataire devra désigner un chef de projet référent disponible en journée ouvrée », ou « Les livrables devront être validés en comité projet avant mise en production ».

Une matrice pour structurer et exploiter ces exigences

Une matrice d’exigences est un tableau recensant l’ensemble de ces éléments. Chaque exigence y est identifiée, numérotée, et peut être enrichie de métadonnées selon les besoins :

Catégorie (réponse, solution, projet, juridique, sécurité…)
Niveau d’importance ou de criticité
Priorité (indispensable, souhaitable, optionnelle)
Statut (à rédiger, validée, modifiée, supprimée…)
Référence au paragraphe du cahier des charges d’origine

L’objectif : disposer d’une vision exhaustive, claire et structurée de toutes les attentes formulées dans le dossier de consultation pour favoriser une compréhension claire et partagée du périmètre de l’appel d’offres entre le client et les soumissionnaires.

2. Pourquoi créer une matrice d’exigences à joindre à votre cahier des charges ?

Pour améliorer la qualité et la clarté du dossier de consultation

Une matrice d’exigences permet d’obtenir une vue globale et précise des engagements attendus du futur titulaire. Elle agit comme un miroir du cahier des charges : si une exigence n’apparaît pas dans la matrice, elle a peut-être été oubliée. Si elle apparaît plusieurs fois, il y a sans doute un doublon ou une contradiction à corriger.

En d’autres termes, la matrice aide à nettoyer le cahier des charges avant sa publication — une étape essentielle pour éviter les litiges ou incompréhensions ultérieures.

Pour avoir une approche homogène entre vos différentes consultations et gagner du temps

En amont des consultations, vous pouvez également créer des matrices regroupant les exigences génériques qui doivent s’appliquer sur vos différents contrats, éventuellement classées par catégories. Ce référentiel d’exigences peut ensuite être facilement réutilisé lors de la rédaction de vos cahiers des charges ou spécifications, par exemple pour certaines parties récurrentes comme les exigences juridiques, de sécurité, de développement durable, …

Cette approche favorise la cohérence et la standardisation de vos appels d’offres, tout en réduisant le temps de préparation des prochains cahiers des charges.

Pour faciliter l’évaluation des offres

En demandant à chaque soumissionnaire de compléter la matrice, vous obtenez une lecture comparative immédiate des réponses. Vous pouvez par exemple demander à chaque candidat d’indiquer pour chaque exigence :

Son niveau de conformité (totalement conforme / partiellement conforme / non conforme)
Un commentaire explicatif en cas de non-conformité ou de conformité partielle
Le chapitre de son mémoire où figure la réponse correspondante

Vous pouvez également donner une pondération à chaque exigence en fonction de son niveau d’importance. Ce principe transforme l’évaluation des offres en un exercice objectif, transparent et plus rapide. Les écarts entre les offres apparaissent clairement, et les décisions de notation sont plus faciles à justifier.

Pour simplifier le suivi de l’exécution du contrat

Une fois le marché attribué, la matrice d’exigences reste un outil précieux pour le suivi contractuel. Les exigences solution, par exemple, peuvent être liées aux livrables attendus et servir de base au plan de conformité du projet. Cela permet au donneur d’ordre et au titulaire de vérifier ensemble, au fil de l’exécution, que chaque engagement est bien respecté. En somme, la matrice d’exigences devient le fil rouge entre le besoin initial, la réponse du prestataire et le résultat final.

3. Les bonnes pratiques et points de vigilance pour construire efficacement votre matrice d’exigences

Respecter le gabarit EARS

Le gabarit EARS (Easy Approach to Requirements Syntax) propose un formalisme standardisé pour rédiger les exigences de manière claire et non ambiguë. Il repose sur une structure simple du type :

Tant que <précondition(s) optionnelle>, quand / si <élément déclencheur optionnel>, le <nom de la solution / du responsable> doit <réponse(s) / action(s) attendue(s)>

Avec, pour chaque exigence :

0 – N préconditions
0 ou 1 élément déclencheur
1 nom de la solution (ou du responsable pour les exigences organisationnelles)
1 – N réponses ou actions attendues.

Exemple : « Lorsque l’utilisateur saisit un mot de passe erroné, le système doit afficher un message d’erreur. »
Ce format aide à formuler des exigences testables, sans interprétation possible.

Appliquer des règles favorisant des exigences claires, précises et exhaustives

Selon le Guide to Writing Requirements publié par l’INCOSE (voir le guide complet ou le résumé), étant donné que le besoin et l’exigence doivent faire partie d’un accord équitable visant à satisfaire une obligation, une exigence bien rédigée doit respecter les 4 caractéristiques suivantes :

Sans ambiguïté : les énoncés des besoins et des exigences doivent être formulés de sorte que leur intention soit claire et puisse être interprétée d’une seule manière par tous les destinataires.
Complète : L’énoncé de l’exigence décrit suffisamment la capacité, la caractéristique, la contrainte, les conditions ou le facteur de qualité nécessaires pour répondre au besoin.
Faisable : Le besoin ou l’exigence peut être réalisé dans le respect des contraintes de l’entité (par exemple : coût, calendrier, technique, juridique, éthique, sécurité) avec un risque acceptable.
Vérifiable : L’énoncé de l’exigence est structuré et formulé de sorte que sa réalisation puisse être vérifiée par l’autorité d’approbation.

Nous proposons dans notre livre blanc « Comment bien rédiger les exigences dans un cahier des charges ou une spécification » des exemples de règles issues de standards internationaux que vous pouvez appliquer pour améliorer la qualité rédactionnelle de vos exigences. A noter : des solutions telles que Comply ou MRS peuvent vous aider à détecter les exigences mal formulées et vous proposer des recommandations pour les reformuler.

Choisir le bon niveau de granularité

Le niveau de granularité d’une exigence doit correspondre à votre maturité et celle de votre équipe / votre entreprise en termes de gestion des exigences et être adaptée aux cas d’usage pour lesquels vous allez ensuite utiliser la matrice d’exigences créée.

Si la pratique est plutôt nouvelle pour vous, ou si vous souhaitez limiter le nombre d’exigences à gérer, vous pouvez par exemple envisager de regrouper plusieurs phrases et/ou exigences en une seule exigences dès lors que :

L’ensemble parle d’un seul et même sujet (les différentes phrases venant compléter la description du besoin sur ce sujet)
L’ensemble va pouvoir être adressé dans un même chapitre de la réponse par les soumissionnaires (il faut éviter par exemple de regrouper dans une même exigence un besoin fonctionnel et une contrainte technique ou une exigence de performance qui sont susceptibles d’être traités dans des chapitres différents de la réponse des soumissionnaires ou correspondre à des critères d’évaluation différents de votre côté.
L’ensemble doit pouvoir être vérifié au même moment (il faut éviter par exemple de regrouper dans une même exigence ce que vous demander aux soumissionnaires de fournir avec leur réponse et ce qui devra être livré pendant l’exécution du contrat.

Par exemple : Demander de fournir un Plan qualité et préciser le contenu attendu dans ce plan sont 2 exigences que vous pouvez éventuellement regrouper en une seule. Par contre, demander de fournir un plan type de plan qualité avec la réponse technique doit être une exigence différente.

Formaliser clairement les exigences dans le cahier des charges

Il est conseillé d’identifier et numéroter chaque exigence de façon explicite dans le texte du cahier des charges :

[EXIG-CCTP-001]

Le prestataire devra fournir une assistance 24/7. Cette assistance pourra se faire par mail ou par téléphone. Une numéro de téléphone unique et une adresse email génériques seront communiqués à cet effet.

[EXIG-CCTP-002]

Les livrables devront être validés par le chef de projet dans un délai de 10 jours ouvrés.

Ce formalisme facilite la navigation entre le document et la matrice, et évite toute ambiguïté lors de la phase d’analyse.

A noter : il est également possible d’ajouter à l’identifiant de chaque exigence un numéro de version de l’exigence ou le numéro de révision du document dans lequel l’exigence a été modifiée pour la dernière fois, une catégorie, un titre, un niveau de priorité, … en adoptant un formalisme propre à chaque métadonnée pour éviter là-encore toute ambiguïté.

Utiliser un outil adapté, comme Comply

La construction et la mise à jour d’une matrice d’exigences peuvent vite devenir chronophages si tout est fait manuellement. Le risque est fort qu’une exigence soit mise à jour sur le document et pas sur la matrice d’exigence ou vice-versa, induisant alors de l’ambiguïté contraire à l’objectif visé.

Des outils spécialisés, comme Comply (intégré à la plateforme Bee4win.io), permettent d’initialiser automatiquement la matrice d’exigences d’un cahier des charges, manuellement ou grâce à l’IA, et de maintenir la cohérence en cas d’évolution du document. Comply permet également :

De personnaliser la structure de la matrice d’exigences pour l’adapter facilement à vos besoins spécifiques.
D’analyser la qualité rédactionnelle des exigences et d’avoir des recommandations pour améliorer la lisibilité et clarté des exigences
De relier des exigences entre elles
D’analyser les similarités pour détecter d’éventuels doublons ou contradictions entre les exigences d’un ou plusieurs documents
De faciliter la saisie en mode collaboratif des attributs associés à chaque exigence (pour la caractériser ou suivre son avancement par exemple)
De tracer également d’éventuels risques ou questions associées aux exigences
D’exporter la matrice d’exigence dans un fichier au format Excel.

Cela permet de gagner du temps sur de nombreuses tâches chronophages et fastidieuses, permet de produire des livrables plus clairs, et garantit une traçabilité parfaite tout au long du processus.

Conclusion

La matrice d’exigences reste encore sous-utilisée dans la phase de rédaction des cahiers des charges, alors qu’elle constitue un levier de performance considérable pour les donneurs d’ordre. Elle permet non seulement de clarifier les attentes, mais aussi de sécuriser l’ensemble du cycle d’achat — depuis la rédaction du cahier des charges jusqu’au suivi du contrat.

Adopter cette pratique, c’est poser les bases d’un dialogue plus fluide et plus transparent entre acheteur et prestataire, tout en réduisant les risques d’incompréhension, de non-conformité et de dérive de planning.

Une matrice d’exigences bien construite, c’est la garantie de choisir le bon partenaire — celui qui comprend, respecte et exécute vos besoins sans mauvaises surprises.

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